Le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est resté motus et bouche cousue depuis le double sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO et de l’UEMOA qui ont décidé de la levée des sanctions économiques et financières contre le Niger consécutives au coup d’Etat du 26 juillet 2023. On s’attendait à ce que la junte se félicite de ces décisions ou tout au moins à en prendre acte.
Avec la levée de ces mesures, l’électricité fournie par le Nigeria est de nouveau disponible à la grande satisfaction des commerces, des industries et des ménages dont certains étaient obligés de recourir aux groupes électrogènes pour maintenir le rythme de leurs activités. Cette solution a lourdement pesé sur leurs budgets. Avec la levée de ces mesures, les opérateurs économiques vont devoir enfin enlever leurs marchandises bloquées au port de Cotonou. On estime le tonnage à plusieurs milliers de containers. De bonnes sources, on apprend qu’une délégation de la douane nigérienne séjourne actuellement à Cotonou en vue, sans doute, de lever les derniers obstacles aux transactions économiques entre les deux pays. Certaines compagnies aériennes de la sous-région envisagent leurs rotations sur le Niger permettant ainsi de contribuer au désenclavement de notre pays.
La politique du bon voisinage
On espère que c’est là le début d’une normalisation des rapports devenus suspicieux entre la junte et les pays voisins membres de la CEDEAO. Il y a une vérité immuable : on ne choisit pas ses voisins. Sauf catastrophe, le Nigeria et le Bénin continueront à être des voisins du Niger. Pour toujours.
En outre, un des principes forts de la politique extérieure du Niger depuis des décennies, c’est le bon voisinage. C’est au nom de ce principe que chaque nouveau chef d’Etat nigérien réserve sa première sortie hors des frontières nationales au grand voisin du sud, le Nigeria. C’est pourquoi, il y a lieu pour le CNSP de sortir de sa « crise d’humeur » pour envisager des relations sereines, dynamiques et fructueuses avec nos voisins. Le Nigeria et le Bénin, deux pays membres de la CEDEAO sont des partenaires incontournables pour le Niger. On ne peut compter le nombre de Nigériens qui, chaque matin, franchissent la frontière du Nigeria pour leurs activités commerciales.
Pour un pays de l’hinterland comme le Niger, le Bénin constitue une opportunité d’affaires pour les opérateurs économiques. Le gouvernement va-t-il leur empêcher d’utiliser le port de Cotonou même s’il leur est plus facile pour leurs affaires ? Va-t-il les obliger à passer par le port de Lomé via le territoire burkinabé dolé avec les tracasseries administratives et l’insécurité qui y prévalent, qui les obligent à payer plus d’argent sans la garantie que leurs camions viendront à destination en bon état ? A moins de les subventionner pour compenser le manque à gagner qu’ils enregistrent car en toute bonne logique les opérateurs économiques ne peuvent pas revendre le sac de riz à 13.500 FCFA comme le veut le gouvernement alors qu’ils leur reviennent à 15.500. La solution résiderait dans la suppression des tracasseries routières et des taxes indues ou le changement de corridor.
Dans un récent post, Mme Takoubakoye Aminata Boureima rappelait, en substance, que la junte est d’accord pour que le pipeline passe par le Bénin mais qu’on ne veut pas que le riz que nous allons consommer transite ce pays. Ce paradoxe saisissant traduit l’état d’esprit des gouvernants actuels.
Faire le choix de la rationalité
Si la junte nigérienne trouve la frontière béninoise dangereuse en raison des soupçons d’intervention militaire, elle doit tout aussi considérer les frontières avec le Mali et le Burkina Faso trop dangereuses parce que les groupes terroristes s’infiltrent à partir de ces frontières pour attaquer les positions de nos Forces de Défense et de Sécurité et les populations civiles. Si c’est la France qui fait peur à la junte, elle est plus présente au Tchad voisin qu’au Nigeria et Bénin réunis.
Dans tout cela, il s’agit de faire le choix de la rationalité qui suppose la défense de nos intérêts. Car dans les relations entre Etats, il n’y a nulle place pour l’amitié ; seuls les intérêts comptent. Prenons le cas de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui est fondée sur les intérêts des Etats. Grace à l’AES, le Burkina et le Mali ont désormais un accès facile au pétrole nigérien. Grâce à l’AES, le Burkina Faso a créé de nouvelles taxes qu’il impose à nos opérateurs économiques. S’il y a le principe de libre circulation des personnes, des biens et des services, comme c’est le cas à la CEDEAO, le Burkina ne devrait pas imposer de nouvelles taxes encore moins faire subir des tracasseries voire des traitements inhumains aux conducteurs nigériens en transit sur son territoire. Apparemment, il n’y a que les Nigériens qui croient que l’AES est une réalité et non une fiction. Une Organisation d’intégration qui se réduit à une petite zone géographique, en l’occurrence le Sahel, n’est pas vouée à un avenir prometteur. Elle risque d’être un micro ensemble, sans dynamisme et sans âme véritable.
Plus globalement, le CNSP doit sortir de cette posture confrontationnelle et complotiste pour envisager l’avenir avec plus de sérénité. La phobie du complot permanent ne mène qu’à l’échec parce qu’elle n’engage que les dirigeants. Peut-on se souvenir de l’époque où le CMS de Kountché voyait en Kadhafi l’ennemi à partir de qui s’opérerait la déstabilisation du Niger ? Pourtant, malgré les récriminations de la junte de l’époque et les attaques sur fond d’insultes grossières contre Kadhafi, la Libye n’a jamais attaqué le Niger non pas faute de moyens mais parce qu’elle ne l’a jamais envisagé. La phobie de l’attaque à partir de la Libye a été entretenue à dessein, par le régime de l’époque, pour détourner l’attention des populations nigériennes des réalités qu’elles vivaient au quotidien avec la première génération des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) et leurs lots de coupes sombres des budgets sociaux. Kountché et Kadhafi ne sont plus là mais le Niger et la Libye continuent à coopérer. C’est cette leçon d’histoire que le CNSP doit retenir pour ne pas alimenter inutilement les germes d’une situation conflictogène.
Une autre leçon pertinente nous est donnée par la Russie, l’Ukraine et l’Europe. Malgré le conflit entre la Russie et l’Ukraine qui dure depuis deux ans, avec un bilan humain des plus terrifiants, le gaz russe passe par le gazoduc qui traverse le territoire ukrainien pour alimenter l’Europe, dont on sait qu’elle a pris fait et cause pour l’Ukraine en lui octroyant des appuis budgétaires et en matériels de guerre. La guerre n’a pas mis fin à ces relations économiques. Les pays sont tellement interconnectés et les échanges économiques assez dynamiques qu’il n’y a pas de place pour les humeurs individuelles.
La rédaction
L’Autre Républicain N°004 du jeudi 7 mars 2024