Le 12 mai 2023, les avocats de l’ancien Président de la République, Issoufou Mahamadou, avaient porté plainte à Paris, contre le journal Africa Intelligence pour publication d’un ‘’article mensonger et diffamatoire’’. Dans la même forme c’est-à-dire par communiqué de presse, le Cabinet de Me Illo Issoufou a rendu, le 21 février 2024, ‘’le démenti de l’Avocat de l’ancien Président de la République du Niger, Son Excellence M. Issoufou Mahamadou ‘’ sur son implication dans le putsch comme l’a déclaré l’ambassadeur Silvain Itté face aux députés français. Diversion ou baroud d’honneur d’Issoufou Mahamadou ? Eléments d’analyse.
Dans son communiqué, Me Illo Issoufou « apporte avec force un démenti, auprès de l’opinion publique nationale et internationale, aux propos tenus par Silvain Itté, ambassadeur de France au Niger lors de son audition du mercredi 29 novembre 2023 par la commission de la défense nationale et des armées de l’assemblée nationale française ».
Après avoir rappelé que cette audition fait suite au coup d’état survenu au Niger le 26 juillet 2023, Me Illo Issoufou s’offusque du fait que le compte rendu de ce huis-clos soit ‘’curieusement diffusé’’. En principe quand on ne se reproche rien, il n’y a aucun souci à ce qu’une information soit rendue publique. Une chose est sûre : tôt ou tard les archives de l’assemblée nationale seront consultées par des chercheurs ou curieux plumitifs qui n’hésiteraient pas à informer l’opinion publique. Autant dire que si le client de Me Illo est clean, il n’y a rien à redire sur la publicité faite autour de l’audition de Silvain au parlement français.
Pour rappel, Silvain Itté a confié à la commission de la défense et des armées : « Ce coup d’état est dû à un paramètre que personne ne pouvait imaginer : l’implication directe de l’ancien Président Issoufou dont on ne peut avancer sans grand risque de se tromper qu’il a fomenté ou pour le moins accompagné le coup contre son successeur ». Ce qui est scandaleux pour Issoufou Mahamadou et sa défense. C’est d’ailleurs, une constante chez Issoufou Mahamadou, chaque fois qu’une voix tente de l’impliquer ou de considérer qu’il aurait joué un rôle dans le coup d’Etat de Tiani, il réagit par personne interposées. Il y a eu tour à tour l’ex Gouverneur de Maradi, Zakari Oumarou après les propos de Seiddik Abba, l’ex député Abdoulmouni Almoubarak qui a répondu aux allégations de Moussa Tchangari et Issoufou Sidibé à Silvain Itté sur RFI.
Contre cette allégation de Silvain Itté, Me Illo Issoufou soutient : « Cet argument est infondé en ce qu’avant le coup d’état du 26, plusieurs autres tentatives, en particulier celle intervenue dans la nuit du 30 au 31 mars à 48 heures de l’investiture du Président Bazoum, ont eu lieu sans que les renseignements français ne soient au courant. Cette défaillance ne saurait donc justifier l’implication de l’ancien Président Issoufou Mahamadou dans les évènements du 26 juillet ».
Pour l’avocat d’Issoufou, l’argument de Silvain Itté du conflit entre le Président Bazoum et Abba Issoufou, son ministre de pétrole serait également tiré par les cheveux.
A la déclaration de Silvain Itté selon laquelle : « Nous n’imaginons pas un seul instant que Issoufou enverrait le chef de la garde présidentielle, son homme, renverser celui qui était son camarade de parti depuis trente ans », Me Illo Issoufou répond que c’est ‘’une affirmation qui est évidemment gratuite vise à infantiliser le général Tiani et ne saurait nullement rendre compte de son (NDLR : Issoufou Mahamadou) implication dans le coup d’état’’.
S’agissant de l’attaque de l’ambassade de France et le rôle joué par Issoufou puis le général Salifou Mody pour la dispersion des manifestants, Silvain Itté, conscient du fait qu’Issoufou serait dans le coup, a en substance rapporté ses échanges avec Issoufou Mahamadou et Emmanuel Macron. Ce qui en dit long sur l’emprise d’Issoufou sur la junte, à en croire le diplomate français : « (…) Alors que je venais de raccrocher mon troisième appel à Issoufou, le Président de la République (NDLR : Emmanuel Macron), m’a téléphoné pour me demander ce qu’il pouvait faire. Qu’il appelle à son tour Issoufou me semble la clef de tout. C’est ce qu’il a fait et il a été convainquant : dix minutes plus tard, le général Mody, numéro 2 de la junte était devant l’ambassade pour calmer les troupes, et dans les dix minutes suivantes tout le monde était parti. Les éléments de preuve sont donc assez flagrants », a déclaré l’ambassadeur Silvain Itté.
A cette accusation, Me Illo de rétorquer que client a joué plutôt au sapeur-pompier qui a voulu que Tiani accepte de rétablir Bazoum. Celui-ci aurait refusé. Sur ce que le général Modi avait fait pour disperser les manifestants, Issoufou ignore absolument tout, selon son avocat qui a péremptoirement déclaré : « L’ancien président n’est associé ni de près ni de loin au coup d’Etat du 26 juillet et les éléments de preuve présentés par M. Silvain Itté devant la commission de la défense et des forces armées de l’assemblée nationale française ne sont qu’un tissu de calomnie ».
Après avoir mis en évidence que certains éléments avancés par Silvain Itté sont des ‘’clichés révolus’’ du colon de ‘’diviser pour mieux régner’’, Me Illo a conclu que l’action de l’ambassadeur français obéit à un ‘’agenda destiné à déconstruire tous les efforts que l’ancien président Issoufou Mahamadou a déployés au plan national et international avant d’annoncer que son client a ‘’décidé de porter plainte pour que justice lui soit rendue’’.
Diversion et effets d’annonce…
Les observateurs avertis sont plutôt curieux de savoir quid de l’autre plainte d’Issoufou Mahamadou contre le journal Africa Intelligence ? L’on se souvient de cet article publié en avril 2023 : « De Niamey à Lagos, sur les traces des millions perdus d’AREVA dans ‘’l’URANIUM GATE’’. Dans ce papier, le Président Issoufou Mahamadou a été accusé d’avoir reçu des fonds virés par une société sur un compte ouvert dans une banque de Dubaï avec le code T3, ce qui lui a valu le tristement célèbre sobriquet de T3.
En son temps, le cabinet de Me Illo avait également annoncé : « devant la persistance et l’extrême malveillance de ces allégations attentatoires à son honneur et à sa considération, relayées à outrance par les détracteurs du Président Mahamadou Issoufou, ce dernier a décidé de porter plainte pour que justice soit rendue. »
Et on le sait, c’est le buzz qu’a fait cet article comme la publication sur l’audition de Silvain Itté qui a gêné et surtout provoqué la réaction du cabinet d’avocats qui défend Issoufou. Il aurait fallu que les avocats rendent compte à l’opinion publique puisqu’elle a droit de savoir la suite au regard de la gravité de l’accusation contre celui qui a dirigé son pays pendant 10 ans. Mais depuis lors, aucune suite, tout se passe comme si Me Illo Issoufou tente de soulager son client en menaçant ses pourfendeurs et autres mal-pensants. La démarche des avocats d’Issoufou pourrait être une véritable catharsis pour ce dernier en quête d’une nouvelle virginité politique.
Les Nigériens voudraient avoir une idée sur l’état des lieux du traitement de la plainte contre Africa Intelligence pour se fixer à jamais que celle contre Silvain Itté n’est pas aussi un autre coup médiatique, un effet d’annonce visant juste à calmer l’opinion et faire plaisir à leur client qui se trouve être en très mauvaise posture depuis les évènements du 26 juillet 2023.
On comprend aisément que Issoufou Mahamadou n’arrive pas à assumer sa responsabilité réelle ou supposée dans le renversement du président Bazoum. Pourtant, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même d’avoir entretenu la polémique voire la controverse. Tous ses faits et gestes après le coup d’état tendent à l’accabler pour n’avoir pas été digne de la confiance placée en lui par le Président Mohamed Bazoum. Il ne s’est jamais démarqué de la forfaiture dont l’auteur n’est autre que son homme de main. Bien au contraire. Il a plutôt lâchement accompagné le coup d’état au détriment de son camarade et de son parti. Son attitude a fait douter tout le monde sur sa sincérité notamment les partenaires extérieurs du Niger. Sa sortie récente à Addis-Abeba lui a permis de jauger son aura à l’international. Des sources diplomatiques bien renseignées nous ont confié qu’Issoufou Mahamadou serait en passe de perdre le privilège du prix Mo Ibrahim et les missions au niveau de l’ONU et les autres Organisations internationales lui seraient retirées.
C’est dire que ce n’est pas que Silvain Itté qui accuse Issoufou Mahamadou d’avoir joué un rôle décisif dans la démolition des institutions républicaines opérée le 26 juillet 2023. Un procès contradictoire devant une justice internationale pourrait être un couteau à double tranchant. Le déballage pourrait enfoncer le plaignant en ce sens que les auditions des acteurs majeurs dont le Président Bazoum pourraient lui jouer un sale tour.
Au regard de tous les enjeux, il est fort à parier que la plainte d’Issoufou Mahamadou n’est que de la poudre aux yeux, un petit jeu pour se faire bonne conscience et continuer à rouler l’opinion publique dans la farine. C’est un baroud d’honneur, l’ultime combat d’Issoufou pour sauver son honneur. Sauf qu’il y a de quoi être sceptique jusqu’à preuve du contraire à savoir la confirmation que les plaintes d’Issoufou Mahamadou sont bel et bien enregistrées au parquet de Paris.
La Rédaction
L’Autre Républicain N°003 du jeudi 29 février 2024