Par Sidi Tiégoum
Ce 10 mai 2024 la Cour d’État doit se prononcer sur la demande de levée de l’immunité de Bazoum Mohamed. Un délibéré aux allures de test de crédibilité pour la justice de notre pays. Une occasion pour enterrer définitivement l’ère des ‘’magistrats godillots’’ au Niger.
Il est évident que les événements du 26 juillet 2023 ont fait du président Bazoum Mohamed la victime expiatoire pour les innombrables péchés politiques commis par son prédécesseur immédiat. La ‘’mauvaise gouvernance’’ et la ‘’détérioration de la situation sécuritaire’’, les principaux arguments brandis par le Conseil National pour la Sauvegarde de la patrie (CNSP) pour justifier son intrusion sur la scène politique, puisent leurs racines au cœur même des deux mandats de Mahamadou Issoufou.
Si l’armée devait écourter la gestion du PNDS-Tarayya, elle avait toutes les raisons [absolument toutes] de le faire sous Issoufou Mahamadou. Ce dernier est le parrain de la fragilisation des institutions de la République. Il a laissé la corruption étendre ses métastases à tous les étages de l’administration publique. Il a profondément désarticulé l’armée nigérienne exposant ainsi nos Forces de Défense et de Sécurité (FDS) aux balles assassines des terroristes. Issoufou Mahamadou a promis de faire du Niger ‘’le tombeau de Boko Haram’’. C’est tout le contraire qui s’est produit. Les tombes de nos soldats se sont multipliées aux quatre coins du pays singulièrement dans la région de Tillabéri : Chinégodar avec 89 morts (8 janvier 2020) et Inatès avec 71 morts (10 décembre 2019), pour ne citer que ces deux hécatombes parmi tant d’autres. L’auteur de l’assertion selon laquelle « le Niger n’est pas un pays pauvre, c’est un pays mal géré », a laissé un État exsangue, le scandale du ministère de la Défense nationale en est la parfaite illustration [quelque 78 milliards FCFA frauduleusement soutirés des caisses publiques].
Voilà neuf (9) longs mois que le président Bazoum Mohamed paie pour les rapines à grande échelle, les fautes et autres manquements commis sous Issoufou Mahamadou. Le rôle trouble de ce dernier dans le déclenchement des événements du 26 juillet dernier se confirme chaque jour davantage. La félonie ne saurait résister au temps. Inflexible malgré les conditions spartiates de sa séquestration, Bazoum Mohamed attend le délibéré de la demande de levée de son immunité introduite par le CNSP.
« Complot ayant pour but de porter atteinte à la sureté et à l’autorité de l’État ; haute trahison ; apologie du terrorisme », tels sont les griefs que la Cour d’État doit passer au crible pour fixer Bazoum Mohamed sur son sort judiciaire. Autant dire que les magistrats de cette institution (qui cumule les compétences de la Cour de cassation et du Conseil d’État) vont passer un test de crédibilité engageant la justice nigérienne dans son ensemble. Le CNSP a beau s’en défendre, la levée de l’immunité de Bazoum Mohamed revêt une dimension politique évidente. Un piège que se doit d’éviter la Cour d’État. Une occasion inespérée pour enterrer définitivement l’ère des ‘’magistrats godillots’’ au Niger. Une opportunité inouïe pour les magistrats en charge de ce dossier de prendre rendez-vous avec l’Histoire. De marcher dans les pas d’une certaine Fatoumata Bazèye, la magistrate qui a dit NON au projet ‘’tazartchiste’’ de Tanja Mamadou. Plus que jamais le Niger a besoin de magistrats sortis du même moule que la vénérable madame Bazèye. Au moment de raccrocher définitivement leurs toges, à l’heure de leurs retraites, les magistrats de l’actuelle Cour d’État doivent être habités par la même fierté, le même honneur que madame Bazèye.
Abdou Dan Galadima et ses pairs de la Cour d’État ont un « devoir d’ingratitude » [si cher au célèbre magistrat français Robert Badinter] pour que brille la justice nigérienne. Ils doivent avoir l’impartialité, l’éthique et la rigueur professionnelle chevillées au cœur et au corps pour répondre à ces questions préjudicielles : la Cour d’État est-elle compétente au regard de l’ordonnance n°2023-11 du 05 octobre 2023, déterminant l’organisation, les missions et le fonctionnement de la Cour d’État ? La levée de l’immunité du président Bazoum Mohamed n’est-elle pas sans objet voire inopportune du moment où son immunité a déjà été violée puisqu’il aurait été auditionné par la gendarmerie après l’histoire de la ‘’tentative d’évasion’’ d’octobre 2023, et ce en violation de l’article 3 de la Loi n° 94-003 du 3 février 1994, fixant le régime applicable à la pension des anciens Présidents de la République qui dispose : «Les anciens Présidents de la République jouissent de l’inviolabilité et de l’exemption de juridiction. Sauf cas de flagrant délit, ils ne peuvent être entendus, mis en état d’arrestation, gardés à vue, ni poursuivis qu’après la levée de l’immunité qui pourra être ordonnée par la Cour suprême toutes Chambres réunies. » ? Le cas échéant, cet article 3 étant un cavalier législatif, ne se pose-t-il pas la question de sa conformité à l’ordonnance n 2023-02 du 28 juillet 2023 dont l’article 1er alinéa 1 dispose « Le CNSP réaffirme son attachement aux principes de l’État de droit et de la démocratie pluraliste. » et à l’article 22 d’ajouter « La présente ordonnance a valeur constitutionnelle. » ? Vaste débat juridique, s’il en est.
Sur le plan sécuritaire, le bilan de Bazoum Mohamed est plus que flatteur. C’est un fait, les attaques et les morts (civils et militaires) ont drastiquement baissé sur la période 2021-2023. Autant dire que le grief sur l’apologie du terrorisme est pour le moins saugrenu. D’autre part, nombre d’observateurs s’interrogent sur le soubassement légal des accusations portées à l’encontre de Bazoum Mohamed sachant que nous sommes dans un régime d’exception. Le 10 mai prochain, il ne s’agira pas simplement de lever ou pas l’immunité de Bazoum Mohamed, il s’agira surtout de mettre un coup d’arrêt à la politisation du judiciaire au Niger. La Cour d’État est face à l’Histoire.
Sidi Tiégoum
Journal Le Renouveau