Traditionnellement, les transitions militaires sur le continent sont en théorie de courte durée. Généralement, dans les six mois suivant la prise du pouvoir par l’armée, tout était mis en œuvre pour un retour rapide des civils aux pouvoirs.
Les autorités militaires étaient aux prises entre pression extérieure (pression politique et diplomatique, sanctions économiques et financières, restrictions individuelles) et des contraintes internes (mobilisation politique des forces vives, demandes sociales liées à l’amélioration des conditions de vie, des exigences relatives à la garantie des droits et libertés).
Toutefois, ces dernières années, avec le discrédit des institutions sous-régionales et régionales ( CEDEAO-UA) et les limites de la diplomatie coercitive africaine, nous tendons vers des transitions incertaines ou de longue durée.
La durée dépend, ainsi, largement des rapports des forces à la fois internes et externes en présence.
En conséquence, il n’est pas exagéré de s’interroger sur la durée des processus de transitions sur le continent. Sommes-nous dans des processus de durées limitées ou bien ces transitions s’inscrivent dans la durée avec « des mandats » assimilables à des mandats constitutionnels (quatre ans ou cinq ans) ?
La limite et l’inefficacité de la sécurité collective africaine (CEDEAO-UA) ont contribué, en grande partie, à légitimer les actions des autorités militaires. Ces dernières, pour des contraintes politiques, techniques ou des volontés affichées, ne pressent plus ou peu pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Elles ont désormais, plus ou moins, la maîtrise des processus de transition et semblent avoir une opinion favorable auprès de la société africaine.
La forme et la durée des transitions classiquement admises sont dès lors remises en cause.
Les autorités en charge de la conduite des processus, qu’elles soient civiles, militaires ou mixtes, conscientes des rapports de forces favorables et le populisme aidant (manque de légitimité des instances africaines en charge de gestion des crises, divisions politiques internes: absence d’opposition ou restrictions des activités politiques par les autorités) multiplient les initiatives pour faire perdurer les processus de transition: Tchad, Mali, Guinée, Burkina Faso et Niger.
De Ndjamena à Bamako, des dialogues sont initiés – dialogue interchadien, dialogue intermalien et sont sanctionnés par des recommandations dans le but de donner une légitimité au glissement du calendrier en cours, mais également de permettre une éventuelle candidature des autorités transitoires. Une pratique, toutefois, contraire aux exigences de la CEDEAO et de l’UA mais aussi une initiative contestée par certains acteurs internes prenant part à ces processus. Ces dialogues ou assises quelle que soient la couleur, la forme ou la dénomination qu’on en donne, cachent d’autres ambitions. En effet, en plus de donner une légitimité à la prorogation des processus, il s’agit d’une manœuvre politique pour, à la longue, favoriser le maintien au pouvoir et la participation aux élections organisées pour mettre fin à la transition.
Le processus sanctionnant la transition tchadienne s’inscrit dans ce contexte. Le Mali semble opter pour cette démarche politique. Les conclusions du dialogue intermalien recommande, en effet, au-delà de la prolongation de la transition, au président de la transition, de briguer la magistrature suprême malienne.
Du côté du Burkina Faso, après l’annonce, avec engouement, de la tenue, dans les prochaines heures et jours, des assises nationales pour rectifier à nouveau la transition et compte tenu du contexte sécuritaire, les participants à ces dites rencontres hautement politiques ont demandé au président de la transition de se maintenir cinq années de plus à la tête de l’Etat. Ils prônent, au nom de la sécurité, la continuité, même si la situation reste toujours critique et incertaine.
Concernant la Guinée, la position des autorités est ambiguë et la question relative au respect du chronogramme de la transition fixant la fin du processus à la fin de l’année 2024 n’est pas résolue. Peut-on s’attendre à un effet de contagion ou au mimétisme des démarches initiées au Tchad, au Mali et dernièrement au Burkina Faso? Tout ce qu’on peut affirmer à date, est que le respect de l’accord tripartite fixant la fin de la transition est incertain et que toutes les initiatives pour tenter de donner légitimité au maintien dans la durée ou tout simplement pour garder le pouvoir ne sont pas à exclure dans l’avenir.
Que faut-il envisager face à cette incertitude intentionnelle ? Il revient et au plus vite à la diplomatie africaine de réintégrer les processus de transitions dans ces pays.
Des politiques unilatérales pour la gestion de ces crises ont des conséquences graves à la longue pour les États africains qui peinent malheureusement à concrétiser et à pérenniser les transitions démocratiques amorcées il y a de cela quelques décennies.
Il est impératif de rétablir la confiance et de maintenir le dialogue avec ces États en vue de trouver une nouvelle formule de sortie de crise.
En faisant preuve de pragmatisme nécessaire en pareille circonstance, la diplomatie régionale doit remobiliser les partenaires traditionnels (ONU, UE) autour des enjeux relatifs à ces processus tant importants pour la construction de la démocratie, l’instauration de l’Etat de droit que pour la stabilité politique et sécuritaire durable sur le continent, particulièrement en Afrique de l’ouest en proie à toutes sortes de menace.
Il faudrait, également, redynamiser l’ensemble des acteurs internes pour des transitions inclusives et acceptées par tous pour éviter des contestations dénonçant des transitions unilatérales et solitaires.
La nécessité pour la communauté internationale de participer à ces processus n’est plus une question taboue. Les besoins d’accompagnement technique et financier sont de plus en plus élevés pour des transitions apaisées et réussies.
Au fond, avec ces velléités réelles ou supposées de faire durer les transitions et une éventuelle candidature des autorités transitoires, les États concernés risquent de se retrouver dans les périodes sombres des années post- indépendances ( 1970-1980) avec une bonne partie des dirigeants en manque de légitimité, car issus des coups de force ou des processus politiques biaisés dans le seul but de revêtir le manteau de démocrate.
Avec un peu de recul et beaucoup de lucidité, l’on doit admettre que cette époque est aussi une période charnière pour les droits humains et le processus démocratique dans la région. Il est important pour les États et les institutions africaines de trouver des solutions contre les atteintes aux institutions démocratiques. Cela va permettre de mobiliser la diplomatie continentale autour des questions stratégiques internationales, notamment les questions relatives à la gestion des ressources naturelles et financières, aux enjeux environnementaux, technologiques, commerciaux et de défenses dans un monde de plus en plus concurrentiel et d’influence.
L’histoire récente de la gestion des transitions politiques et militaires dans certains États africains renseigne qu’une mauvaise ou une transition non maîtrisée à la limite unilatérale appelle toujours à une autre transition.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 30 Mai 2024