La COLDEFF annonce avoir recouvré beaucoup d’argent mais sans dire dans quelles conditions. Entre rapports à charge donc provisoires, le choix entre remboursement ‘’dolé’’ ou la case prison, le refus de faire assister les personnes incriminées par leurs avocats, la COLDEFF passe outre tous les principes sacro-saints de l’Etat de droit alors que le CNSP s’est engagé à les respecter.
« J’ai été indexé dans un rapport, je dois payer, un point un trait. Libre à moi, si je veux par la suite, de poursuivre l’Etat… ». Ainsi s’exprimait un de nos confrères convoqué par la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEFF), dans une tribune, en mars dernier. Il a fait le compte-rendu de son entretien avec les commissaires de la COLDEFF qui lui exigent de verser 1.500.000 FCFA, sur la base d’un rapport non contradictoire et pour un paiement effectué au nom de l’organe de presse dont il est le fondateur et directeur de publication. Il a passé une convention avec un établissement public de la place, il y a une dizaine d’années. Jamais, il n’a été mis en cause dans l’exécution de cette convention. Tout d’un coup, c’est la COLDEFF qui le convoque au motif que le chèque a été libellé au nom du directeur de publication, au lieu de celui de l’organe dont il est propriétaire.
De cet extrait du récit de notre confrère, on peut retenir quatre éléments d’appréciation qui sont récurrents au niveau de cette structure : le premier, c’est que le rapport d’inspection qui aurait dû être contradictoire ne l’a pas été. C’est un rapport à charge donc inexploitable en l’état. Le deuxième, c’est que la COLDEFF est prompte à exiger le remboursement des sommes supposées dues plutôt que de rétablir la vérité des faits. A tort ou à raison, ses détracteurs laissent entendre qu’il s’agit de maximiser les ristournes versées aux membres. Le troisième, la Commission exige le paiement, à charge pour la personne incriminée de poursuivre l’Etat devant les juridictions plus tard. La COLDEFF risque d’entasser des contentieux contre l’Etat qui, s’il est condamné plus tard, sera obligé de rembourser les personnes mises en cause. Enfin, le langage en vogue, c’est payer ou aller en prison.
Ce mode opératoire n’a pas été appliqué qu’à notre confrère seulement. Il y a quelques semaines, un entrepreneur, bénéficiaire des marchés de construction de routes, a été sommé de rembourser les exonérations dont son entreprise avait bénéficié. Selon ses proches, il a dû payer 1 milliard de francs CFA à la COLDEFF pour éviter la case prison.
Le cas le plus récent, qui fait le buzz sur les réseaux sociaux et dans les médias, est celui de Maître Issaka Souna, ancien président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). La COLDEFF lui exige le remboursement de plusieurs milliards de francs CFA. Les médias et les réseaux sociaux ont vite fait d’annoncer sa mise sous mandat de dépôt. Ce qui est totalement faux. L’ancien président de la CENI a été simplement interpellé par la gendarmerie. Le juge saisi du dossier lui a demandé de rentrer chez lui. Pourquoi ? Parce que le dossier est vide, aprend-on. Les charges ne sont pas constituées.
Homme de droit, avocat très respecté, Issaka Souna n’est pas du genre à faire dans la légèreté en faisant main basse sur des ressources publiques. Si tant est que les milliards de francs CFA ont été détournés, il n’y aurait pas eu les différents scrutins électoraux des années 2020-2021.
Le président de la CENI n’est pas un opérationnel. Ceux qui exécutent les dépenses sont ceux qui sont dans les différentes sous commissions (sécurité, logistique, communication, transport, etc.). S’il y a à répondre, il faut convoquer tous ceux qui ont géré ces différents compartiments. On distinguera alors le vrai de l’ivraie.
Actuellement, l’ancien président de la CENI est bel et bien chez lui. Il a exigé d’être assisté par son avocat pour toute convocation à la COLDEFF. Or celle-ci refuse la présence des avocats. Ce qui a fait réagir, il y a quelques semaines, l’Ordre des avocats du Niger et le Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN) qui ont dénoncé le déni des droits de la personne par cette structure administrative. Dans un Etat de droit, comme c’est le cas du Niger, tel que réaffirmé par le CNSP lui-même, on ne saurait marcher sur les droits des individus de façon autoritaire et en violation du droit.
Même si une perquisition a été opérée au domicile de Maitre Souna, force est de noter que les milliards dont on parle ou leurs traces n’ont pas été retrouvés.
Mais une chose est probable, si la COLDEFF force la main à Me Issaka Souna non seulement la montagne pourrait accoucher d’une souris mais aussi des membres de la junte, du gouvernement et des magistrats pourraient être amenés à s’expliquer. En d’autres termes, il n’y a rien à redire sur la demande de reddition des comptes au président de la CENI mais selon une source, la COLDEFF a fait montre de légèreté en voulant incriminant cet avocat chevronné en griffonnant sur une page une cinquantaine de milliards à justifier sans investigation sérieuse. C’est justement parce que le dossier serait vide que le doyen des juges d’instruction l’aurait renvoyé à la COLDEFF pour complément d’enquête, apprend-on. Et dans cette affaire, avocats et magistrats seraient montés sur leurs grands chevaux au regard de la violation de la procédure. C’est entre autres, le pourquoi la velléité de déposer Me Issaka Souna à la prison a fait flop.
Conformément à ses professions de foi, le CNSP a l’obligation de respecter et de faire respecter son Ordonnance n°2023-02 du 28 juillet 2023 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition qui affirme que « le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie réaffirme son attachement aux principes de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste ». En d’autres termes, il s’est engagé à garantir les droits et libertés de la personne humaine et du citoyen tels que définis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981. Les droits de la défense en font partie.
Il y a lieu pour la COLDEFF de revenir aux fondamentaux de l’Etat de droit pour ne pas apporter de l’eau au moulin de ceux qui pensent que ses membres sont dans une course effrénée pour les ristournes.
La rédaction