Garba Abdoul Azizou est analyste sécuritaire, il fut ancien Conseiller spécial à la présidence et ancien Directeur Adjoint du Centre National d’Etudes Stratégiques et de Sécurité (CNESS). Il est président du Centre Africain de Réflexion sur les Enjeux Globaux (CAREG) qu’il vient de créer. Dans l’entretien qui suit, il renseigne sur les missions et les objectifs de ce laboratoire d’idées.
L’Autre Républicain : Vous venez de créer un Think Tank dénommé Centre Africain de Réflexion sur les Enjeux Globaux (CAREG). Qu’est-ce qui justifie la création de ce Centre ?
Abdoul Azizou Garba : L’idée de créer un Centre indépendant de réflexion découle de mon expérience dans le domaine des Think Tank d’une part, et d’autre part, elle répond à un besoin essentiel visant à favoriser le partage et la diffusion des connaissances. J’ai beaucoup voyagé dans le monde, je suis dans le domaine de la recherche, membre de plusieurs associations et centres de réflexion. Je me suis dit qu’il est aussi temps de fonder un Think Tank africain qui peut évoluer avec des jeunes chercheurs et intellectuels africains.
Par ailleurs, j’ai beaucoup observé nos sociétés et j’ai compris que l’ignorance, la pauvreté intellectuelle et le déficit éducatif sont les principaux maux qui les affligent. Par exemple, l’ignorance alimente l’intolérance, laquelle isole, anéantit et engendre la violence. Si l’on veut participer au changement, il faut commencer par lutter contre l’ignorance de ceux qui gouvernent notamment, en les guidant vers des choix éclairés. Le CAREG s’inscrit dans cette démarche en valorisant la réflexion intellectuelle et scientifique, en encourageant des débats critiques et constructifs, en menant des analyses et études prospectives, tout en essayant d’actualiser les connaissances relatives aux enjeux mondiaux.
L’Autre Républicain : Quels sont les missions et les objectifs du CAREG ?
Abdoul Azizou Garba : En tant que Think Tank indépendant, le CAREG compte contribuer à l’émergence d’une nouvelle Afrique des peuples démocratiques, pacifiques, souverains et prospères. Le Centre vise à influencer les institutions internationales, les bailleurs de fonds comme les décideurs privés et publics pour mieux participer à la construction de l’Etat en Afrique. Entre autres, le CAREG a pour objectifs de contribuer à la production et le partage de connaissances, du savoir et du savoir-faire sur les enjeux globaux ;participer à la formation des jeunes chercheurs, des cadres des secteurs publics et privés ainsi que les acteurs de la société civile sur les thématiques liées aux enjeux globaux ;publier des bulletins, des policy brief, des notes d’analyse, des ouvrages collectifs et des articles scientifiques etc.
L’Autre Républicain : A quand la première publication du CAREG ?
Abdoul Azizou Garba : Nous allons bientôt publier le premier bulletin du CAREG intitulé « Afrique, des affaires militaires » car c’est l’actualité du moment. Ce bulletin vise à présenter une autre facette des armées africaines, pas celles du putschisme pathologique, observé ces dernières années au Sahel. Le milieu militaire est très méconnu du public africain et au-delà. Chaque fois que les médias parlent des armées, c’est à l’occasion des coups d’Etat ou des guerres civiles avec tout ce qu’ils traînent comme atrocités. Pourtant, il existe des armées africaines républicaines, modernes et professionnelles qui n’ont rien à envier aux armées de l’occident. L’armée sénégalaise est un exemple cité en Afrique de l’Ouest. Les armées nigérianes, ghanéennes, béninoises et ivoiriennes s’inscrivent de plus en plus dans une logique républicaine et professionnelle, elles se modernisent. Tout cela mérite une certaine valorisation du point de vue scientifique. Pourquoi ça marche ailleurs et non chez nous ?
L’Autre Républicain : Et si vous deviez répondre à cette question ?
Abdoul Azizou Garba : Il faut des éléments d’analyse pour répondre à une telle question. Mais, à priori le constat est que ce sont les pays les plus pauvres qui font face encore à des coups d’État militaires. Est-ce qu’il y a un lien de causalité entre la pauvreté et le coup d’État ? C’est aussi une question de recherche qui peut mener à plusieurs hypothèses. L’accès aux ressources de l’Etat dans un contexte de pauvreté peut bien motiver des militaires à passer à l’acte. Je me souviens, la première décision de la junte c’était d’intimer à tous les responsables de l’ancien régime de retourner tous les véhicules de l’Etat dans les meilleurs délais. Au Niger, les gens ont une conception du pouvoir comme un attribut quasi divin et source de privilèges et d’arbitraires. Les populations restent passives aux agissements des chefs parce que leur imaginaire du pouvoir est en quelque sorte « plafonné ». Il faut remonter loin dans l’histoire pour le comprendre. Autrement dit, les Nigériens n’ont pas beaucoup d’autres références et histoires du pouvoir que celles qu’ils vivent depuis les années 1960. C’est un obstacle important qui n’est certes pas infranchissable, bien sûr, mais qui pèse sur la capacité du peuple nigérien à « imaginer » (s’inventer) un autre genre de pouvoir, moins brutal, moins arbitraire, davantage au service du peuple, moins vissé dans la peur. Ce sont des réflexions qu’il faudra mener à mon avis.
L’Autre Républicain : Où se trouve le siège du CAREG ?
Le siège provisoire se trouve à Bruxelles, mais nous comptons l’implémenter en Afrique du Sud avec des représentations dans certains pays africains. Nous sommes dans une démarche ambitieuse et volontariste qui demande beaucoup d’énergie, de ressources engagées et de moyens importants. La bonne nouvelle est que la technologie facilite beaucoup la vie car beaucoup de choses peuvent se réaliser avec peu de moyens. Pour le moment, nous sommes sur la conception du plan d’action stratégique, les projets prioritaires et le plan annuel de travail. Nous sommes déjà une vingtaine de chercheurs et d’intellectuels africains et non africains, motivés et engagés pour hisser le CAREG comme un Think Tank de référence dans les années à venir. Pour le moment, il s’agit surtout d’envisager des pistes pour l’avenir de nos pays.
Propos recueillis par EMS
L’Autre Républicain du jeudi 30 janvier 2025