Le groupe Orano a annoncé, le 21 janvier 2025, son intention de lancer un deuxième arbitrage contre l’État du Niger. Ce recours juridique fait suite à un enchevêtrement complexe de conflits qui, depuis plusieurs mois, perturbent son contrôle opérationnel de la Société des Mines de l’Aïr (SOMAIR), une entreprise minière clé dans le secteur de l’uranium. La situation, marquée par l’absence de résolution amiable et l’escalade du contentieux, met en lumière des enjeux économiques, sociaux et géopolitiques d’une rare ampleur.
Orano, groupe français spécialisé dans l’extraction et la transformation de l’uranium, a longtemps détenu une position dominante dans l’exploitation de l’uranium au Niger, pays dont les ressources en uranium sont cruciales à l’échelle mondiale. Cependant, la situation a pris une tournure contentieuse avec l’intervention du gouvernement nigérien qui veut affirmer sa souveraineté. Les causes du conflit sont multiples : l’entrave à la commercialisation de la production, l’annulation des droits d’enlèvement d’Orano, et, enfin, l’impossibilité de contrôler opérationnellement la SOMAÏR. Ces actions, selon le groupe, ont non seulement mis en péril la viabilité de l’entreprise, mais aussi aggravé ses pertes financières.
Le recours à l’arbitrage est, en ce contexte, devenu un recours inévitable. Orano s’adresse ainsi au Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) dans l’espoir de récupérer ses droits sur le stock de minerai produit par la SOMAÏR et d’obtenir réparation pour le préjudice financier engendré. Cette procédure intervient après plusieurs tentatives infructueuses de régler la question à l’amiable, qui ont, selon Orano, été ignorées par les autorités nigériennes.
Cet arbitrage n’est pas sans conséquences, tant pour Orano que pour l’État du Niger. Du côté d’Orano, l’enjeu est de taille. L’entreprise, actionnaire majoritaire de la SOMAÏR, entend récupérer des dommages et intérêts et fait valoir qu’elle a subi un préjudice matériel et financier considérable. Par ailleurs, elle se réserve la possibilité de recourir à de nouvelles actions judiciaires, y compris contre des tiers, en cas de violation de ses droits d’enlèvement, notamment en cas de préemption de la matière extraite. Ce contentieux s’inscrit donc dans un climat de tensions croissantes entre le groupe français et les autorités nigériennes.
Pour l’État du Niger, cette situation représente un défi géopolitique majeur. Le secteur de l’uranium est un pilier de l’économie nationale, et l’issue de cette affaire pourrait avoir des répercussions sur l’image du pays dans les milieux des investisseurs. En décidant de retirer son permis d’exploitation pour la mine d’IMOURAREN dans une précédente procédure d’arbitrage lancée en décembre 2024, l’État du Niger semble montrer sa volonté de renégocier les termes de l’exploitation minière dans le pays, souvent jugés défavorables aux intérêts locaux. Cette posture est d’autant plus marquée dans un contexte où les ressources naturelles de l’Afrique sont perçues comme un levier stratégique par de nombreuses puissances étrangères.
Toutefois, cette stratégie a des conséquences qui dépassent largement les intérêts des entreprises en jeu. Les communautés locales, souvent oubliées dans ce type de conflit, sont les premières victimes de cette guerre juridique et économique. Les sociétés filiales d’Orano, ainsi que sous-traitants et les travailleurs nigériens employés dans ces mines, se retrouvent dans une situation d’incertitude voire de précarité. La menace d’une baisse de la production, la perte d’emplois, et les tensions sociales qui en découlent soulignent l’ampleur du dilemme. Orano exprime d’ailleurs ses regrets quant à l’impact de cette situation sur ses employés et les populations locales, un impact qui pourrait être amplifié par les rebondissements futurs de cette affaire.
Il est légitime de se demander quelles seront les conséquences à long terme de cette bataille juridique sur la relation entre le Niger et ses partenaires étrangers, notamment en matière d’investissements. Si l’arbitrage devait trancher en faveur d’Orano, cela pourrait renforcer la position du groupe dans le pays, mais risquerait également d’induire une réaction négative de l’État nigérien, qui pourrait durcir ses positions à l’égard des autres entreprises minières étrangères. Inversement, une victoire de l’État du Niger ouvrirait un précédent en matière de renégociation des contrats miniers, mais pourrait entraîner une fuite des investisseurs étrangers, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la stabilité économique du pays.
En définitive, le conflit entre Orano et l’État du Niger n’est pas seulement un différend entre un groupe multinational et un État africain. Il illustre un problème systémique des relations économiques internationales, où les ressources naturelles, souvent sources de richesse pour un pays, deviennent aussi des points de friction géopolitiques. Ce dossier est loin d’être clos et promet de continuer à alimenter les débats sur la souveraineté économique et les droits des entreprises multinationales dans un contexte de mondialisation.
Mahamadou Tahirou
L’Autre Républicain du jeudi 6 Février 2025