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12 octobre, 2024
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Modification de la loi sur la cybercriminalité : Menace sur les libertés !

2019, 2022, 2024, ce sont les trois dates de l’histoire de la loi portant répression de la cybercriminalité au Niger. Cette histoire a connu des fortunes diverses. Avec la nouvelle révision, les libertés sont menacées.

Le 3 juillet 2019, la loi a été adoptée pour la première fois. Elle a prévu des peines de prison pour des délits de diffamation ou d’injures commis par un moyen de communication électronique. Les contrevenants encouraient des peines de six mois à trois ans de prison et une amende de un à cinq millions de francs CFA pour les délits de diffamation, et d’injure ; l’injure étant définie comme « toute expression outrageante, tout terme de mépris ou toute invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait, par le biais d’un moyen de communication électronique ». Les mêmes peines sont appliquées en cas de diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine.

En 2022, sous le régime du président Mohamed Bazoum, cette loi a été modifiée pour soustraire les peines de prison. La loi modificative a prévu des peines d’amende comme peines de substitution. La leçon à retenir est qu’on peut bien sanctionner des dérapages liés à l’atteinte à la dignité et à l’honneur d’autrui sans recourir à la prison.  Les peines d’amende étaient comprises entre 2 et 10 millions FCFA.

Le président Bazoum a fait le pari de promouvoir les libertés d’expression et d’opinion dans la responsabilité. C’est ainsi que se consolident la démocratie et l’Etat de droit. En son temps, il y eut un concert de remerciements des Organisations de la société civile et des médias pour cette démarche du président Bazoum d’élargir les espaces de libertés. Il s’agit aussi d’harmoniser cette loi avec l’ordonnance portant régime de la liberté de la presse qui a supprimé les peines de prison pour les délits de presse. Tous ont salué la vision du président de la République mais surtout son courage politique qui a permis de décrisper le climat politique et social du pays. A l’époque, la Maison de la Presse, le Réseau des Organisations pour la Transparence et l’Analyse budgétaires (ROTAB) et tant d’autres associations ont salué cette décision.

Le 7 juin 2024 : patatras. La loi est de nouveau révisée par une ordonnance non pas pour enregistrer de nouvelles avancées dans le sens de promouvoir les libertés mais pour restaurer les peines de prison. Les arguments avancés par la junte pour justifier sa décision est qu’il s’agit de rétablir l’équilibre entre la liberté d’expression et la protection des droits individuels, et préserver la tranquillité et la sécurité publiques.

Désormais, les délits de diffamation et d’injure par un moyen de communication sont punis d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende d’un à cinq millions. En cas de diffusion de données qui sont de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine, il est prévu une peine de prison de deux à cinq ans et une amende de deux à cinq millions de francs CFA. La loi modificative a reconduit les mêmes peines dans les cas de délits de diffamation et d’injure telles que prévues par la loi de 2019. Par contre, elle a aggravé les peines lorsqu’il s’agit de diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine.

« Des instructions fermes ont été données aux procureurs de la République, pour poursuivre sans faiblesse ni complaisance tout auteur de ce genre d’actes (NDLR : actes de diffamation, d’injure et de diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine par un moyen de communication), a annoncé le ministre de la Justice et des droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Alio Daouda, dans un communiqué de presse en date du 12 juin dernier. Les journalistes et les usagers des plateformes numériques sont ainsi avertis.

Tout semble indiquer que cette loi permet de contourner l’ordonnance portant régime de la liberté de la presse qui interdit de garder à vue un journaliste ou de le placer sous mandat de dépôt pour un délit de diffamation ou d’injure. Pour rappel, actuellement, deux journalistes croupissent en prison pour « atteinte à la défense » pour Soumana Idrissa Maiga, directeur de publication de L’Enquêteur, et « atteinte à la sureté de l’Etat » pour Ousmane Toudou. Leur dossier est aux mains du tribunal militaire.

Un recul pour les libertés

Plusieurs organisations se sont insurgées contre cette ordonnance modificative. Pour le Réseau des Journalistes pour les Droits de l’Homme (RJDH), « cette modification de loi constitue un net recul pour la liberté de la presse et la liberté d’opinion consacrées par les instruments juridiques internationaux notamment la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ». En son article 19, rappelle le RJDH, cette Déclaration proclame que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Le Collectif des Organisations de défense des Droits de l’Homme et de la Démocratie (CODDHD), par la voix de son Coordonnateur Maitre Hamani Assoumane, interrogé par le studio Kalangou, juge que le tout répressif n’est pas la solution. Il a plutôt recommandé des campagnes de sensibilisation sur l’éducation aux médias. L’ONG Tournons La Page Niger a également dénoncé la nouvelle ordonnance comme constituant un recul pour les libertés.

Paradoxe. Ce texte modificatif contredit les termes de l’ordonnance n°2023-02 du 28 juillet 2023 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition. En effet, cette ordonnance proclame :    « le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie réaffirme son attachement aux principes de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste». En d’autres termes, il s’est engagé à garantir les droits et libertés de la personne humaine et du citoyen tels que définis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

Que s’est-il alors passé pour que la junte revienne sur ses engagements de départ ? Comme disent les Haoussa, « an yi amay an lashé », pour dire que la junte a ravalé ses propres vomissements. En d’autres termes, c’est comme si elle est revenue sur ses propres engagements.

En guise de rappel, l’ordonnance portant régime de la liberté de la presse a été élaborée et adoptée, pendant un régime d’exception, sous la transition du général Djibo Salou, en 2010. C’est dire que la junte actuelle peut faire autant sinon mieux, en terme de promotion des droits et libertés des citoyens.

En toutes circonstances, la liberté doit être la règle, et la détention l’exception.

La rédaction

L’Autre Républicain du jeudi 20 juin 2024

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