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5 juillet, 2025
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Liberté d’expression au Niger :  L’AJAN dénonce un « recul criard » sous couvert de cybercriminalité

Dans une déclaration d’une rigueur juridique implacable rendue publique le mercredi 2 juillet à Niamey, l’Association des Jeunes Avocats du Niger (AJAN) lance un cri d’alarme poignant sur l’érosion des libertés fondamentales dans le pays. L’association dénonce avec force la récente modification de la loi sur la cybercriminalité, qualifiée de « net recul criard » pour les libertés d’expression, de presse et d’opinion, en contradiction flagrante avec les engagements internationaux du Niger et les promesses mêmes des autorités de transition.

L’AJAN, agissant en « sentinelle du droit et des libertés », s’appuie sur une analyse minutieuse du cadre juridique nigérien et international. Elle rappelle que la loi n°2019-33 du 3 juillet 2019, initialement conçue pour réprimer les infractions liées aux nouvelles technologies, prévoyait déjà des peines privatives de liberté (de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement, assorties d’amendes substantielles) pour des délits de diffamation, d’injure ou de diffusion de données « troublant l’ordre public » commis en ligne. Des peines que l’association jugeait déjà disproportionnées au regard des articles 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et 19.2 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, instruments tous ratifiés par le Niger.

L’association souligne le paradoxe saisissant entre les déclarations d’intention des autorités issues du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) et leurs actions concrètes. Elle cite textuellement l’ordonnance n°2023-02 du 28 juillet 2023, pierre angulaire de la transition, dans laquelle le CNSP « réaffirme son attachement aux principes de l’État de droit » et garantit explicitement les droits et libertés définis par les instruments internationaux, ainsi que l’article 34 de la Charte de la Refondation consacrant le droit à la liberté de pensée, d’opinion et d’expression. « Les régimes d’exception doivent être les vecteurs de fondation de l’État de droit », insiste l’AJAN, rappelant qu’en période de concentration des pouvoirs, la protection des droits humains doit être renforcée, non affaiblie.

Le cœur de l’indignation de l’AJAN réside dans l’ordonnance n°2024-28 du 7 juin 2024. Cette révision de la loi sur la cybercriminalité opère un dangereux retour en arrière. Pourtant, comme le rappelle l’association, le Niger avait pris conscience en 2022 de l' »anachronisme et l’inadéquation des sanctions pénales applicables » en substituant des peines d’amende aux peines d’emprisonnement pour certains délits d’expression en ligne, afin d’aligner la loi sur les exigences constitutionnelles et internationales en matière de liberté d’opinion.

L’ordonnance de 2024 balaie cette avancée. Les articles 29, 30 et 31 rétablissent de lourdes peines d’emprisonnement ferme : 1 à 3 ans pour diffamation ou injure en ligne, sans possibilité de circonstances atténuantes pour le juge. 2 à 5 ans pour diffusion de données « de nature à troubler l’ordre public », sans circonstance atténuante et, point particulièrement inquiétant, même si les données diffusées sont avérées.

Pour l’AJAN, ce durcissement n’a qu’un objectif : « restreindre la liberté d’expression et réduire au silence toute opinion critique à la ‘REFONDATION' ». L’association relève que les tribunaux nigériens ont déjà prononcé plusieurs condamnations à des peines fermes et placé des personnes en détention provisoire sur le fondement de cette loi, créant un climat de peur et d’autocensure.

Face à ce qu’elle nomme sans détour « QUEL RECUL !!!! », l’AJAN lance un appel pressant et solennel aux autorités de transition. Elle les exhorte à :

1.  Respecter leurs propres engagements proclamés dans la déclaration de prise de pouvoir du 26 juillet 2023 et dans l’ordonnance fondatrice de la transition, garantissant les libertés fondamentales.

2.  Réviser en urgence la loi sur la cybercriminalité pour la mettre en conformité avec les instruments internationaux des droits de l’homme et supprimer les peines d’emprisonnement pour les délits d’expression pure. L’association reconnaît le droit de l’État d’encadrer la liberté d’expression pour des buts légitimes dans une société démocratique, mais souligne que toute restriction doit être nécessaire, proportionnée et non instrumentalisée

L’AJAN conclut sa déclaration par un hommage aux forces de défense et de sécurité engagées dans la lutte contre le terrorisme et la sécurité du pays et un rappel poignant de la mission de l’avocat : « Sentinelle du droit et des libertés, l’avocat reste et demeure le dernier rempart entre l’arbitraire et le citoyen ! Et face à l’injustice, la robe restera debout pour le droit, pour la justice et les libertés. » Un serment qui résonne comme un avertissement et un espoir dans un contexte où la parole libre semble de plus en plus menacée sous le prétexte de la cybersécurité. La balle est désormais dans le camp des autorités pour démontrer par des actes leur attachement proclamé à l’État de droit.

Mahamadou Tahirou

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